Passe passe à Paris

Joanie Goulet
30. Oktober 2018
« L'ami naturel », vue d'exposition, Kunsthaus Langenthal, 2018. Photo : © Martina Flury

A l’école d’architecture, et plus tard par la pratique de la profession, on apprend à raconter des histoires, à maitriser l’art du récit pour expliquer un projet. Gina Proenza, fraichement sortie de l’ECAL en arts visuels, excelle dans cet art et elle confronte ses récits à ses réalisations et à l’espace que celles-ci occupent. Après la galerie ELAC à Lausanne, le Kunsthaus Langenthal et la foire LISTE à Bâle, l’exposition présentée à Paris depuis samedi dernier se veut la dernière d’une série de quatre expositions qu’elle nomme des chapitres. Chaque chapitre est une nouvelle qui nous transporte dans un lieu particulier de sa Colombie natale.

Commençons du début. Le premier chapitre a dévoilé le no man’s land à la frontière de l’Amérique du Sud et de l’Amérique centrale, entre l’océan pacifique et l’océan atlantique. Depuis la découverte de l’Amérique par Colomb, cette région marécageuse est restée impénétrable malgré les efforts répétés des colonisateurs de toutes les époques. Même aujourd’hui, c’est le seul endroit où la route panaméricaine y est coupée, inexistante. L’artiste propose un espace étrange, un mouvement comique, un jeu entre le formel et l’architectural, un jeu de rythme dans l’espace. De petites figurines simiesque sont placées sur une sculpture centrale, sorte de carrefour. Des haut-parleurs diffusant un chant remplacent la tête des singes. Le second chapitre se déroule dans un village déconnecté de toute civilisation, où un groupe d’habitants a vécu en autarcie complète durant des centaines d’années. Ces habitants ont développé leur propre langage et c’est lors de cette exposition qu’apparaissent les gargouilles monochromes qui tirent la langue. Elles sont les gardiennes du lieu. L’artiste présente aussi des sculptures organiques en bois revêtues d’une peinture qui rappelle l’odeur du pin. Le troisième chapitre est situé au milieu du désert. A cet endroit, Gina Proenza explore davantage le travail de la langue. On retrouve le mouvement mécanique de la langue, mais cette fois ce sont des céramiques abstraites qui conversent ensemble. L’écho de la parole dans l’espace et le rapport de la langue au paysage y sont racontés.

Finalement, pour clore la série, on se retrouve sur une petite île des caraïbes colombiennes. Cette petite île est aussi la plus densément peuplée du monde. La question de l’espace est au centre du récit et l’utilisation de chaque surface de cette île est débattue entre les habitants. Par manque d’espace, les rues sont employées comme extension de l’habitation. Pour circuler sur l’île, il faut parfois passer de maison en maison, de pièce en pièce. Le rapport entre l’espace public et l’espace privé est complément brouillé. A travers son art, Gina Proenza explore des lieux différents mais aussi l’utilisation de médiums variés. Pour quatrième exposition, elle propose une exploration du mouvement, mais cette fois sans moteur. Elle a construit une plateforme de 35 mètres carrés qui occupe quasiment l’entière surface d’une salle de géométrie carré. Le corps du visiteur devient générateur de mouvement et ce grand sol à bascule nous questionne sur le rapport au déséquilibre. L’expérience de l’œuvre évolue selon le nombre de personnes en mouvement sur la plateforme.

Les chapitres font l’objet d’une longue recherche historique et de tradition orale avant que la narration prenne forme. Quand je lui demande d’où est venue son inspiration pour ses sculptures gargouilles qui tirent la langue, elle ne me répond pas comme je l’aurais cru qu’elles sont inspirés des fontaines romaines ou de la sculpture précolombienne, mais bien du Lällekönig de Bâle. Il faut préciser qu’avec Gina Proenza, le récit contraste souvent avec l’objet, mais invite toujours au voyage.


Gina Proenza 
Passe Passe
Jusqu’au 9 décembre 2018
Centre culturel suisse, 32-38, rue des Francs-Bourgeois
Paris

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